Pour vous parler d'amour,
j'avoue que j'aurais pu trouver un angle plus léger : les roses
rouges, les cœurs en chocolat, les sorties entre amants, les
lettres romantiques, le kamasutra; mais bon, je n'aime pas trop les
lieux communs... Les conseils de séduction aux célibataires ou les
trucs pour raviver la flamme dans le couple, je laisse ça à
d'autres!
Comme je suis un peu
philosophe, j'aime mieux me poser des questions plus sérieuses. «
Juger si la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, disait
Camus, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie.
» Il s'agit ici, littéralement, d'une question de vie ou de mort.
J'y répondrai en paraphrasant Nietzsche : sans l'amour, la vie
serait une erreur. En effet, si ce n'était de l'amour, la vie ne
vaudrait peut-être « pas la peine » d'être vécue. (Notez bien
l'usage du conditionnel, car cet énoncé tient plus de l'hypothèse
que de l'affirmation.)
Quoiqu'il en soit, se
pourrait-il que le profond mal de vivre qui ronge notre époque
prenne racine dans un tout aussi profond mal d'amour? C'est que
l'amour se définit, notamment, comme un attachement désintéressé
et profond à une valeur. On dit donc, à juste titre, de l'amour
qu'il n'a pas de prix. (On dit aussi que, pour tout le reste, il y a
le crédit, mais ne nous égarons pas...) Or, dans une société de
consommation comme la nôtre, la seule valeur d'une chose est son
prix; et, dans un monde utilitariste comme celui où nous évoluons,
on ne s'attache à rien qui ne serve pas nos intérêts. Ainsi
dépourvu du sens de la gratuité et de l'abnégation qui est le
fondement même de l'amour dans son
acception la plus large, nous avons perdu la capacité d'aimer
autrement que de manière calculatrice et instrumentale.
L'attachement on s'en
méfie, l'engagement on s'en défile. Tout ce qui compte, c'est la
passion, soit la dimension strictement hédoniste de l'amour. Le
plaisir, on ne s'en lasse pas! L'intimité, par contre, on s'en
passerait bien. Quant à la responsabilité vis-à-vis de l'autre,
n'en parlons même pas. Chacun pour soi et tous contre tous :
voilà la triste devise de notre temps.
En quelque sorte, la
conception contemporaine de l'amour, se résume à l'eros,
c'est-à-dire à un désir perpétuellement insatisfait, à un
manque chronique à combler. Il y a évidemment de quoi être
désillusionné de l'amour quand on ne cherche qu'à remplir le vide
qu'il créé en nous! C'est oublier la simple satisfaction qu'on peut
trouver dans l'amour philia :
une amitié sincère qui se nourrit de réciprocité et
de partage. C'est négliger aussi la plénitude que procure l'amour
agapè qui s'exprime dans la
bienveillance et le don.
Jusqu'à
ce que la mort ne nous arrache à la vie, nous pouvons encore apprendre à aimer... pour le meilleur ou pour le pire.