Du journalisme critique contre le «consensus» capitaliste

«Quand la monstruosité du système que l'on sert est devenue évidente, l'excuse consistant à dire qu'on ne savait pas ou qu'on ne pouvait pas faire autrement n'est plus acceptable. Certaines et certains journalistes ont l'intelligence de le comprendre et le courage de se battre. » (Alain Accardo, «Misère du journalisme», À Babord!, 2007)

Malgré le fait que le capitalisme global ait depuis longtemps échoué à assurer un progrès humain véritable, les médias de masse continuent à relayer ad nauseam le discours consumériste et productiviste (néo)libéral et l'idéologie de la croissance illimitée.

Un quart de siècle après la parution de Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media, la critique des médias comme instruments «servant à mobiliser des appuis en faveur des intérêts particuliers qui dominent les activités de l'État et celles du secteur privé» reste plus actuelle que jamais.

Le journaliste, écrivain et écologiste Hervé Kempf expliquait récemment à MAIS, l'émission que «la composante médiatique du régime oligarchique» a pour rôle « de faire accepter aux gens un certain ordre du monde en le présentant comme tellement naturel, évident, qu'on ne va même pas l'interroger ou le mettre en cause. » La fonction des médias dans l'ordre oligopolistique et oligarchique contemporain est de « conformer l'opinion publique d'une certaine manière, en lui présentant une grille d'analyse et en l'enfermant en quelque sorte dans cette grille d'analyse. » Au centre de la grille d'analyse dominante se trouve l'idée que la croissance économique est une nécessité absolue, une condition sine qua non du développement humain et du progrès social.

Or, depuis plusieurs décennies (voire depuis des siècles), une clameur de voix critiques s'élève partout dans le monde pour dénoncer les dérives du capitalisme et, plus récemment, pour sonner l'alarme quant au dépassement des limites écologiques de la planète. Il est objectif que le modèle de développement moderne, hérité de la révolution industrielle et fondé sur la croissance économique et l'innovation technoscientifique est en faillite, mais les grands médias semblent incapables d'articuler une critique systémique des nombreuses crises dont ils rendent compte quotidiennement.

«Nous sommes désormais à la croisée des chemins et un nombre croissant d'individus et de groupes choisissent de rejoindre le combat anticapitaliste, soulignait Accardo. Ce n'est pas le cas des journalistes, dont la corporation, en dépit d'opposants internes courageux mais non organisés et très minoritaires, s'est depuis longtemps rangée massivement dans le camp des défenseurs de l'ordre établi. [On] peut dire que la représentation médiatique du monde, telle qu'elle est fabriquée quotidiennement par les journalistes, ne montre pas ce qu'est effectivement la réalité, mais ce que les classes dirigeantes et possédantes croient qu'elle est, souhaitent qu'elle soit ou redoutent qu'elle ne devienne.»

Si le mythe de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est aussi tenace que celui de l'indépendance des médias, les deux ont été mis à mal dernièrement lorsque des mobilisations sociales et populaires sont venues remettre en question, radicalement, les fondements de l'ordre capitaliste.

Encore heureux qu'il reste quelques journalistes critiques pour en témoigner...

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